La Première Guerre mondiale ou le basculement dans le monde moderne

Entre le funeste 28 juin et le mois d'août 1914, l'enchaînement des événements — ultimatum austro-hongrois à la Serbie, mobilisation de l'armée russe, puis de l'Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne — transforme le risque d'une nouvelle guerre balkanique en un conflit général en Europe.

Publié le 18/11/2013 • Modifié le 13/11/2019

Temps de lecture : 6 min.

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Entre le funeste 28 juin et le mois d'août 1914, l'enchaînement des événements — ultimatum austro-hongrois à la Serbie, mobilisation de l'armée russe, puis de l'Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne — transforme le risque d'une nouvelle guerre balkanique en un conflit général en Europe.

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© Musée de la Grande Guerre du pays de Meaux

De l’espoir d’une guerre courte à la guerre longue

« Vous serez de retour avant la chute des feuilles. » Cette phrase de l’empereur d’Allemagne Guillaume II résume bien le sentiment général. À Paris, Berlin ou Londres, tout le monde croit à une guerre courte. Bien équipées et entraînées, les armées privilégient l’offensive et le mouvement. Elles pensent l’emporter rapidement.

Les victoires allemandes de l’été 1914 semblent accréditer l’idée d’un conflit rapide. Sur le front oriental, les troupes des généraux Hindenburg et Ludendorff bloquent l’offensive de l’armée russe, qui est écrasée à la bataille de Tannenberg (26-29 août). À l’Ouest, après avoir envahi la Belgique en août (bataille de Charleroi, 21-23 août), les armées allemandes débouchent sur les plaines du nord de la France. Le 1er septembre, elles sont à Senlis, le 2 dans les faubourgs de Meaux, soit à une cinquantaine de kilomètres de la capitale. La première bataille de la Marne, du 6 au 9 septembre, marque une étape décisive du conflit : elle met un terme à l’avancée allemande et sauve Paris. Elle annonce la fin de la guerre de mouvement. Après une « course à la mer » lors de laquelle les deux camps tentent chacun de se déborder en remontant vers le nord-ouest, les armées s’enterrent. Un constat s’impose : la guerre sera longue.

De novembre 1914 à 1918, aucune armée n’est en mesure de rompre ce front. Sur terre, malgré des batailles acharnées et des pertes énormes, rien ne bouge. Pendant la bataille de la Somme, la seule journée du 1er juillet 1916 suffit à tuer 20 000 Britanniques et à en blesser 40 000. Les victoires sont défensives, comme celle de l’armée française à Verdun, qui, en décembre 1916, après dix mois de combats ininterrompus, parvient à empêcher les Allemands de passer.

La guerre se joue en grande partie sur mer. Au blocus naval, particulièrement efficace, organisé par les pays de l’Entente à partir de 1915 répond la guerre sous-marine allemande, qui vise les navires marchands reliant les États-Unis à la Grande-Bretagne, mais sans grande efficacité.

Le caractère mondial du conflit s’affirme avec la participation de nouveaux États : les colonies françaises et britanniques, bien sûr, mais aussi le Japon, qui s’empare des possessions allemandes dans le Pacifique. Face aux pertes de leurs navires de commerce et à l’appel à l’aide des Britanniques et des Français, les États-Unis entrent en guerre contre l’Allemagne en 1917. La guerre s’élargit jusqu’aux routes stratégiques du Moyen-Orient : un front d’Orient est créé en 1915.

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Conflits et fronts en Europe de 1914 à 1917. © Allix Piot

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Une guerre d’un genre nouveau

Le conflit de 1914-1918 est une guerre de position que personne n’avait imaginée mais à laquelle tout le monde s’adapte. Les armées, d’abord. Elles utilisent de nouvelles armes plus efficaces. Les mitrailleuses, capables de projeter 400 à 600 projectiles par minute, les lance-flammes, les gaz asphyxiants, utilisés pour la première fois par les Allemands en 1915 à Langemark, au nord d’Ypres, relèguent le cheval de bataille et son cavalier à des symboles militaires d’un autre temps. Les combattants, ensuite. Liés entre eux par un esprit de camaraderie, les « poilus » affrontent «l’enfer des tranchées ». Un jeune écrivain provençal, Pierre Benoît, raconte le 26 décembre 1914 : « Aucun tableau ne pourrait vous donner une idée, même approchante, de cette vie de tranchées. Figurez-vous des êtres humains vivant, pendant des semaines, dans des trous, comme des taupes, et ne sortant la tête de leur tanière que la nuit venue. Voilà où nous a réduits cette belle invention des armes perfectionnées. Le canon fait rage autant presque la nuit que le jour et les balles sifflent plus drues que la grêle. » Il meurt deux jours plus tard. Les soldats doivent faire face aux éléments, la pluie, les rats, la vermine ou encore la boue, qui parfois les aspirent lentement jusqu’à les faire disparaître.

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© Musée de la Grande Guerre du pays de Meaux

La guerre moderne constitue pour les fantassins une nouvelle expérience corporelle. Si, autrefois, on combattait debout — l’honneur du soldat était d’affronter l’ennemi de face —, le déluge de feu qui s’abat désormais sur le champ de bataille a pour effet de coucher les corps. Ces mêmes corps se camouflent, se cachent, sont niés à l’intérieur d’uniformes qui abandonnent les couleurs vives pour adopter le bleu horizon ou le vert kaki. Cela ne les empêche pas, bien sûr, d’être vulnérables : les blessures sont d’une gravité sans précédent, les mutilations deviennent la norme. Au-delà du corps, l’âme souffre également. On ne compte plus les « trembleurs », ces blessés psychiques qui doivent en plus affronter le soupçon de leur hiérarchie, qui les considère le plus souvent comme des « embusqués du cerveau ».

Comment ont-ils tenu dans cet enfer ? C’est la question centrale, largement débattue par les historiens. Certains ont souligné le consentement des combattants à la guerre, en insistant sur la force du sentiment national. Paradoxalement, les mutineries de 1917, rarement organisées en première ligne, expriment ce consentement : rares sont les pacifistes, les mutins désirent surtout protester contre les offensives inutiles et coûteuses en hommes. Ils sont des citoyens soucieux de négocier leurs conditions, attentifs à ce que les efforts exigés d’eux soient proportionnés aux résultats sur le champ de bataille. Reste que, pour consentir, encore faut-il avoir le choix. D’autres historiens ont insisté avec justesse sur la contrainte imposée par la hiérarchie militaire. Quant aux autres raisons, on peut évoquer l’appartenance au groupe et le regard des autres soldats, le lien maintenu avec l’arrière, dont témoigne une abondante correspondance censurée. On doit garder à l’esprit que les raisons sont presque aussi nombreuses que les combattants. L’expérience guerrière est une expérience avant tout individuelle.

À l’arrière, l’autre front

La Grande Guerre ne se résume pas aux seuls combattants. Il faut produire pour la guerre. Partout, les États improvisent pour fournir le front en armes et en nourriture. C’est en Allemagne, en raison du blocus, que cette économie de guerre se met d’abord en place. Dès août 1914 sont créés une Société centrale d’achats pour s’alimenter auprès des pays neutres et un Service des matières premières stratégiques au sein du ministère de la Guerre. En France, l’État soutient la reconversion des usines métallurgiques vers la production d’armement. Les entreprises se mettent toutes à travailler pour la guerre, même les plus improbables : le bijoutier Fabergé, en Russie, commence à produire des grenades.

Comment régler la question de la main-d’œuvre alors que la plupart des hommes sont engagés au front ? La solution se trouve du côté des femmes, appelées dès 1914 par le président du Conseil français René Viviani à remplacer « sur le champ du travail ceux qui sont sur le champ de bataille ». Les associations féministes les exhortent à soutenir le front, à coudre, à tricoter pour les soldats. Nombre d’entre elles assument le rôle de marraines de guerre, correspondent avec des soldats, envoient des colis. Mais c’est l’engagement dans les services de santé qui permet de participer le plus directement au conflit. En France, en 1918, le service de santé des armées emploie plus de 100 000 femmes, dont 70 000 bénévoles, auxquelles il faut ajouter plus de 10 000 religieuses. Manifestation du patriotisme des Françaises, cet engagement s’explique aussi par une volonté d’échapper à l’angoisse de l’absence prolongée du fils ou du mari, de se rendre utile dans des temps tourmentés, de trouver leur place dans une société transformée.

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© Musée de la Grande Guerre du pays de Meaux

L’arrière vit également un enfer, d’une autre nature que celui vécu par les soldats. En France, dans les zones occupées par l’armée allemande, les pillages et les exécutions sont légion. En 1915, en Prusse-Orientale, l’offensive de l’armée russe jette sur les routes des milliers de réfugiés, avant que Russes et Baltes ne fuient devant l’armée austro-allemande. Le pire est atteint dans l’Empire ottoman. Le gouvernement des Jeunes-Turcs profite de la guerre mondiale pour « régler définitivement » la question arménienne, en suspens depuis la fin du XIXe siècle. Voici les termes par lesquels est ordonné ce génocide, dans un télégramme codé envoyé par le ministre de l’Intérieur Talaat Pacha à la préfecture d’Alep : « Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l’âge ni du sexe. Les scrupules n’ont pas leur place ici. » En l’espace d’une année, entre 1 et 1,5 million de personnes sont assassinées, soit les deux tiers des Arméniens vivant dans l’empire. La Grande Guerre sert ici de matrice à la guerre génocidaire, terrible caractéristique du XXe siècle.

Tournant et dénouement

Il faut bien que la guerre se finisse. Après trois ans de combats, la lassitude gagne le front et l’arrière. Les grèves se multiplient un peu partout en Europe « contre la vie chère ». Sur le front occidental, en mai et juin 1917, les mutineries éclatent. Le Vatican lance en août « une note pour la paix », proposant un retour au statu quo ante. En vain.

C’est à l’Est que se passe finalement l’événement. Trois mois après la prise de pouvoir par les bolcheviks en Russie,Trotski déclare unilatéralement en février 1918 que « l’état de guerre a pris fin entre les empires centraux et la Russie ». Le front oriental se disloque. En mars, la Russie signe avec l’Allemagne la paix de Brest-Litovsk, dont les clauses sont particulièrement sévères : la Russie perd 800 000 kilomètres carrés, 26 % de sa population et 75 % de sa production de charbon et de fer. C’est également un coup dur pour les Français et les Britanniques : libérée sur le front oriental, l’armée allemande peut désormais concentrer ses efforts à l’ouest. L’objectif est de frapper un grand coup, de l’emporter avant que l’armée américaine ne soit complètement opérationnelle.

Tout se joue une nouvelle fois sur la Marne. Quatre ans après la première bataille qui a empêché la victoire allemande, la deuxième bataille de la Marne ouvre le chemin de la victoire aux Alliés. En juillet 1918, la contre-offensive des troupes françaises et américaines, appuyée par les chars, est le point de départ d’un vaste mouvement de reconquête obligeant au recul l’armée du Reich. Au même moment, des troubles révolutionnaires agitent Berlin et Vienne. Deux jours après la proclamation de la république à Berlin, l’armistice est finalement signé près de Compiègne,le 11 novembre, au petit matin, dans le wagon du maréchal Foch, stationné dans la clairière de Rethondes.

En partenariat avec L'éléphantl'éléphant

L'Eléphant est une nouvelle revue de culture générale qui paraît tous les trimestres. Elle traite à la fois de sujets de culture générale « classique » (sans lien avec une actualité) et de thèmes qui font écho à un événement contemporain.


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