Les spoliations pendant la Seconde Guerre mondiale

La spoliation des œuvres d’art pendant la Seconde Guerre mondiale a été une entreprise de grande ampleur. Zoom sur les moyens mobilisés par la Reich.

Publié le 22/02/2016 • Modifié le 20/01/2020

Temps de lecture : 4 min.

Écrit par Julie Guillemant, médiatrice culturelle et Benjamin Faguer, médiateur culturel

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La spoliation des œuvres d’art pendant la Seconde Guerre mondiale a été une entreprise d’une ampleur considérable. Les moyens mobilisés ont été très importants de la part du Reich afin de s’approprier, stocker et transporter les œuvres. Adolf Hitler et Hermann Göring ont pris une place de choix dans ce pillage, cherchant chacun à rassembler une collection d’œuvres d’art très importante. C’est aussi pour eux un des moyens d’extermination du peuple juif. En plus de détruire physiquement les personnes, ils visent l’éradication d’une mémoire.  Pour autant, à part quelques initiatives cinématographiques, le grand public n’a eu que peu de contacts avec ce pan de l’histoire contemporaine.


« Qui trouve, garde »

Né à Braunau-am-Inn, Adolf Hitler a passé son adolescence à Linz. C’est dans cette ville qu’il a grandi, et celle-ci qu’il envisage pour son projet. Il choisit Linz pour faire de l’ombre à Vienne, à laquelle il ne pardonne toujours pas de l’avoir recalé à deux reprises à l’école des beaux-arts. Il confie à l’architecte Albert Speer la charge de dessiner l’édifice. Fervent partisan d’un néoclassicisme monumental, l’architecte donne au projet des proportions considérables. En plus du Führermuseum, il prévoit un opéra et une bibliothèque. Speer conçoit un musée total, tout entier destiné à affirmer la supériorité artistique aryenne.

Pour combler ce musée rêvé, Hitler pille aussi bien les collections publiques que privées situées sur les terres qu’il annexe ou occupe. Certaines œuvres sont volées, d’autres sont achetées par la contrainte mais les opérations revêtent toujours une apparence de légalité. Dès juin 1939, la Sonderauftrag Linz1 a pour mission de collecter les œuvres destinées au Führermuseum de Linz, mais aussi aux autres musées du Reich.

 

 

 

 

Adolf Hitler et Herman Göring, le 19 juin 1934

 

Le second d’Hitler, le Reichsmarschall Hermann Göring, est aussi féru d’art. Avant la guerre, il rassemble déjà une importante collection et cherche à l’agrandir pendant le conflit. Il s’affiche inflexible dans ses choix, notamment quand il opère sa sélection d’œuvres au musée du Jeu de Paume.
Hitler et Göring, pourtant dans le même camp, sont loin de travailler ensemble dans cette quête d’œuvres. Chacun voit son intérêt personnel avant tout et, rapidement, une compétition naît entre le Führer et son second. Celle-ci est gouvernée par un principe très simple : qui trouve, garde.

 

L’ERR ou l’administration de la spoliation

L’entreprise de spoliation des œuvres d’art provenant de collections juives est si importante qu’une administration spéciale lui est consacrée pendant la guerre. Si Hitler a sous ses ordres la Sonderauftrag Linz pour son musée, Göring, quant à lui, détourne l’ERR pour son profit personnel.

Sous la direction d’Alfred Rosenberg, l’ERR organise et exécute ce pillage en Europe de l’ouest. Ses bureaux sont situés à Paris, au musée du Jeu de Paume, tout près du Louvre. En novembre 1941, la rivalité entre Hitler et Göring se cristallise. Le Reichsmarschall ordonne à Rosenberg de viser particulièrement les collections juives et de stocker les œuvres en attendant qu’il opère sa sélection. Hitler donne un ordre contraire, visant à transférer au plus tôt toutes les œuvres spoliées vers l’Allemagne. Les deux hommes entrent donc en concurrence directe, malgré leur rapport hiérarchique.

L’ERR2 pille beaucoup sur le territoire français et stocke les œuvres dans plusieurs dépôts, dont le musée du Jeu de Paume. Là, le docteur Bruno Lohse organise des expositions privées pour Göring, afin que celui-ci sélectionne ce qui doit intégrer sa collection. Les œuvres sont ensuite affrétées par train spécial vers Carinhall, sa résidence secondaire. Les Français sont expressément interdits d’accès au musée du Jeu de Paume à quelques exceptions près : Rose Valland et des ouvriers du musée. Une exception qui coûtera cher à l’ERR, mais qui sera une chance pour la Résistance.

 

Capitaine Beaux-Arts

Attachée de conservation au musée du Jeu de Paume, Rose Valland est un personnage clé dans la récupération des œuvres spoliées. Elle arrive dans l’institution muséale en tant que bénévole en 1932 et est amenée à organiser des expositions temporaires et à en rédiger les catalogues. Pendant les années 1930, Rose Valland travaille particulièrement sur l’art contemporain étranger. Elle est au contact direct de ce que le régime nazi considère comme dégénéré.

Son supérieur hiérarchique, le directeur des musées nationaux Jacques Jaujard a organisé avant le début de la guerre la fuite des œuvres des collections publiques à des fins de protection. Rapidement, il est approché par la Résistance. Il demande alors à Rose Valland, titularisée au Jeu de Paume en 1941, de rester en poste quoi qu’il en coûte.

Discrète, dotée d’une excellente mémoire visuelle, Rose Valland observe les allées et venues des officiels du Reich et de l’ERR. Elle envoie des rapports réguliers à Jaujard, l’informant des déplacements d’œuvres. Sa tâche est hautement risquée : si elle est découverte, c’est le peloton d’exécution qui l’attend. Bruno Lohse le lui dit clairement en février 1944.

Grâce à elle, les bombardements alliés évitent les lieux de stockage des œuvres en Province. Elle participe par la suite à la récupération de celles que le Reich a éparpillées sur son territoire. À la fin de la guerre, elle intègre la commission de récupération artistique, dans laquelle elle reste jusqu’en 1949.

 

 

 

 

TCY - Plaque commemorative de l'action de Rose Valland sur le mur de la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris 
 

La disparition d’une mémoire

Que reste-t-il aux rescapés d’une famille décimée, si ce n’est un héritage, qu’il soit mémoriel, sentimental ou matériel ? Quand le IIIe Reich cherche à faire disparaître physiquement ceux qu’il désigne comme ses ennemis, les Juifs en particulier, il va jusqu’à tenter de détruire leur mémoire.

Certes, Hitler cherche à remplir son musée avec des pièces de choix. On pense par exemple à l’Astronome de Vermeer, qu’il récupère dans la collection d’une des familles Rothschild. Mais les grands collectionneurs ne sont pas les seuls visés. Une fraction seulement des œuvres pillées part pour la sélection d’Hitler ou Göring. Certains collectionneurs sont dépossédés de leurs biens simplement parce qu’ils sont juifs.

Grâce à la Résistance, à Rose Valland et à la commission de récupération artistique, environ 60 000 objets ont été remis à la France. Depuis, 45 000 d’entre eux ont été restitués à leurs propriétaires et ayant-droits.

Aujourd’hui, 2 000 œuvres attendent de retrouver leurs propriétaires. Elles ont été confiées aux musées nationaux et inventoriées sous un numéro spécial commençant par les trois lettres MNR : Musées Nationaux Récupération.

C’est un enjeu mémoriel particulièrement important que de travailler à la restitution de ces œuvres. Plus qu’un bien matériel, c’est un patrimoine fécond de mémoire qui a été dérobé. Restituer ces œuvres d’art aux ayant-droits des citoyens spoliés pendant la Seconde Guerre mondiale est la reconnaissance d’une injustice qui a été commise, et la tentative d’une réparation. C’est un travail d’une ampleur considérable, toujours inachevé à ce jour.

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[1] Commission spéciale : Linz

[2] Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg, état-major du Reichsleiter Rosenberg

LES MUSÉES D'ANGERS

Les musées d'Angers publient une bande dessinée numérique à destination des 15-18 ans. À travers ce projet transmédia, les musées d'Angers souhaitent sensibiliser le grand public au destin des oeuvres d'art volées par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.

Voir la bande dessinée Le Portrait d'Esther

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