Sauvetage des enfants juifs pendant la Shoah

Pour les enfants juifs, depuis les nourrissons jusqu’aux adolescents, il n’y avait pas d’autre destination dans la furie nazie que leur mise à mort.


Publié le 27/01/2015 • Modifié le 12/09/2022

Temps de lecture : 6 min.

Écrit par Gérard Rabinovitch, Directeur Institut Européen Emmanuel Levinas

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Convocation éthique

Pour les enfants juifs, depuis les nourrissons jusqu’aux adolescents, il n’y avait pas d’autre destination dans la furie nazie que leur mise à mort. Quand ils étaient encore dans les ghettos : par la faim et les maladies. Lors des opérations Einsatzgruppen, dans les villes et villages de l’Europe orientale et du sud de l’Union soviétique envahie : par toutes les manières possibles d’assassinats, des fusillades en masse jusqu’aux déchaînements de cruautés perverses. Dans les camps d’exterminations, dès leur arrivée, par la Selektion vers les chambres à gaz et les fosses crématoires. Et pour quelques-uns : les pseudo « expérimentations » médicales criminelles conjuguant délires scientistes et psychopathies sadiques. Seuls les adolescents de plus de quinze ans pouvaient avoir un court répit avant de mourir d’épuisement dans le travail d’esclave.

Déportés avec leurs parents, ou bien dans les Kinderaktionen, convois exclusivement d’enfants comme celui de Kovno (Kaunas) à Auschwitz, en septembre 1944, ou celui de 1 260 enfants parti de Bialystok pour Auschwitz en passant par Terezin. Traqués, poursuivis, dans les cachettes précaires, les abris offerts, ou des institutions d’accueil, le sort de ces enfants convoquait « ce pouvoir de transfert et de substitution, sans lequel il n’y a point de sens de la justice, de sens de l’humain » invoqué par l’écrivain Léon Werth dans Dépositions. Il s’agissait de les soustraire aux déportations, de les préserver des rafles, de fournir de quoi manger, où dormir, ne pas mourir de froid. Voire dans certains cas limités, de leur permettre une simple vie d’enfants sous de fausses identité.

Initiatives individuelles, ou entreprises organisées en réseaux, Juifs, chrétiens, et laïques, en Europe de l’Ouest, s’occupant de placer les enfants dans des institutions (internats, couvents, sanatorium) ou dans des familles d’accueil, tentatives de leur faire atteindre des pays « neutres », constituèrent une résistance non armée mais pas moins héroïque que celle des groupes de partisans armés.

« Nous voici à nouveau face à l'une de ces sélections tellement redoutées, au cours desquelles ceux des prisonniers dont l'apparence montrait qu'ils n'avaient plus la moindre chance d'être encore exploitables, étaient envoyés par ces messieurs dans les usines de la mort de Birkenau.
Après l'appel du soir, le camp tout entier devait marcher en
direction du Birkenweg (chemin des Bouleaux), qui était la route qui menait aux douches.
D'un côté il y avait les barbelés électriques, de l'autre les
sentinelles, et donc il n'était pas question de songer un instant à s'enfuir par là. Notre moral était au plus bas, nous attendions pendant des heures, alors que la file interminable que nous formions pénétrait très lentement dans les salles de consultation. Le silence de plomb était interrompu par un bruit solitaire qui faisait écho sur la route principale - il s'agissait du pas pressé de ceux qui avaient eu la chance de passer au travers de cette épreuve. Certains d'entre nous priaient. D'autres pensaient à chez eux. D'autres encore, qui avaient perdu tout espoir de survie, semblaient indifférents à ce que le destin leur réservait. »

La résistance de sauvetage

Dans le système général de glorification patriotique des gouvernements issus de la Victoire, la Résistance juive en général — même armée — et la « Résistance de sauvetage », juive, chrétienne ou laïque, ne trouvèrent pas leur place. Cette dernière en particulier ne semblait pas avoir l’héroïsme flagrant des actions de combat.

Pourtant en sauvant en France près de 10 000 enfants, au péril des rafles et des dénonciations, ses acteurs sauvèrent encore l’idée même d’une civilisation de vie contre celle de la mort. Honorés pour mémoire « Justes des nations » suivant la tradition talmudique, ou encore « Gardiens de la vie », ils mirent au centre de leurs actes la sanctification de la vie.

Les actions de sauvetage furent le fait d’une multitude d’actions personnelles, individuelles ou agrégées en chaînes de solidarité d’organisation clandestine, accomplies par des gens qui mirent au-dessus des règlements civils, malgré les dangers, la loi de l’empathie humaine.
Elles accueillirent, cachèrent, aidèrent à fuir, des familles entières, des inconnus traqués, des enfants pourchassés. Elles mobilisèrent des hommes et des femmes de toutes conditions, des prêtres et des enseignants, des moines et des religieuses, des ouvriers et des paysans, des diplomates et des fonctionnaires, etc.

La « Résistance de sauvetage » qui transcende les différences d’origine sociale, les clivages politiques, les asymétries de responsabilités publiques, les diversités professionnelles, révèle une « société éthique » transversale, invisible à l’ordinaire des lectures sociologiques.

Les enfants cachés

La première opération de sauvetage d’enfants date d’avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agissait de transférer de l’Allemagne nazie vers l’Angleterre des milliers d’enfants de parents juifs ou d’opposants au nazisme enfermés dans des camps de concentration. Mais aussi, venant d’Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne. Le premier de ces Kinderstransport fut réalisé en décembre 1938, les derniers partirent d’Allemagne en septembre 1939 et de Hollande en mai 1940. 9 000 à 10 000 enfants purent ainsi échapper à la nasse nazie, avant le commencement de l’extermination. Des centaines furent pris au piège en Belgique ou en Hollande.

Avec la domination de l’Europe par les nazis et leurs alliés, le sauvetage des enfants signifie : les cacher pour les soustraire aux déportations. Ainsi en France après l’arrestation et la déportation de 4 151 enfants lors de la rafle du Vel d’Hiv (16 juillet 1942).

En France, en Belgique, ou en Hollande, au-delà des initiatives individuelles, des circuits souterrains indépendants ou des filières clandestines organisées se mettent en place, dans des conditions périlleuses. Il faut trouver des refuges, fabriquer de faux papiers, leurs procurer des vêtements, les convoyer, leur rendre visite régulièrement, dans des conditions précaires.

En France, des enfants sont cachés dans de nombreuses régions : dans la Drôme (Dieulefit), dans l’Aveyron (Capdenac), le Cantal (Vic-sur-Cère), les Cévennes (Chambon-sur-Lignon), les Alpes Maritimes (Nice)… Ainsi 80 % des enfants échappèrent aux déportations.

Par leur dévouement et leur ingéniosité, l’O.S.E., les Réseaux « Marcel », « Garel », les Éclaireurs israélites, la C.I.M.A.D.E., La Clairière, l’Entraide temporaire, le M.N.C.R., la « Maison de Sèvres », le « Comité de la Rue Amelot », les Pères de Sion, l’Amitié chrétienne, et d’autres ; autant que les actions des FTP, FTP-MOI, FFI, représenteront éternellement ce que profondément peut signifier : « Résistance ».

Les Justes

L’écrivain britannique Mary Anne Evans, connue sous le nom de George Eliot, constatait déjà au cœur du XIXe siècle dans son chef-d’œuvre Middlemarch que « les choses ne soient pas si mauvaises pour vous et moi qu’elles auraient pu l’être est dû, pour moitié, à tous ceux qui ont mené fidèlement une vie cachée et reposent dans des tombes que personne ne visite ».

L’observation gagne un nouveau tranchant de vérité avec ceux qu’on appelle aujourd’hui « les Justes ».

Les vrais résistants ont l’héroïsme modeste ; que dire alors de l’héroïsme discret, voire anonyme, des « Justes des Nations ».
La notion de « Juste » trouve son origine dans la littérature talmudique. L’homme juste est celui qui se conduit selon la justice et l’honnêteté, qui se montre généreux à l’égard d’autrui.

Selon, la tradition rabbinique, le monde est sauvé, à chaque génération, grâce au mérite de 36 Justes, qui demeurent anonymes. La légende, répandu par la Kabbale, est un thème populaire du folklore juif. Avec elle, le judaïsme a mis au centre de l’accomplissement d’actes saints la sanctification de la vie plutôt que le martyre.

Quand on sait qu’un quelconque secours aux Juifs était puni par les pouvoirs collaborateurs, et que dans les territoires administrés directement par le Reich (comme la Pologne par exemple) il était sanctionné immédiatement de mort, on mesure le courage de ces gens qui surmontaient une peur fondée et rompaient avec la tendance commune à l’indifférence ou à la collaboration, celle des corps constitués, mais aussi celle des délateurs à l’affût.

Tels furent, par exemple, le pasteur André Trocmé et sa femme Magda, grâce auxquels, avec les villageois des environs de Chambon-sur-Lignon, dans les Cévennes, plusieurs milliers d’enfants furent arrachés à leur funeste sort. Des actions menées au péril de leur vie et sans attente de reconnaissance ou d’assentiment de la part de leurs compatriotes ou des autorités.

La grandeur de ces Justes comme leur petit nombre (26 513 recensés à ce jour à travers l’Europe) sont aussi un signe tragique. Ils soulignent la solitude du courage dans l’humanité ordinaire.

Un bilan bien peu perçu

En 1939, la population juive en Europe s’élevait à environ 9 millions de personnes. En 1945, entre 5 100 000 et 5 800 000 Juifs avaient été exterminés de multiples façons, mais toutes par une application méthodique d’assassinats de masse organisés. À l’échelle démographique de la France d’aujourd’hui, cela signifierait l’assassinat de plus de 42 millions de ses habitants…

Ces nombres mêmes sont ceux issus de l’état présent des travaux des historiens. Ils attendent la confirmation des récentes découvertes effectuées en Ukraine par les équipes du père Patrick Desbois, concernant la Shoah dite de « proximité », et pourraient encore augmenter.

Quoiqu’il advienne de leur réévaluation possible, parmi eux, plus de 1 250 000 enfants furent assassinés sous toutes les formes possibles de cruauté, c’est-à-dire 9 enfants sur 10.
Ainsi, sur les 4 918 enfants déportés depuis Malines en Belgique vers Auschwitz, n’en revinrent seulement que 53.

Sur les 11 400 enfants qui furent déportés de France, seuls 200, des adolescents, rentrèrent.
Sur les 15 000 enfants qui transitèrent par le camp de Theresienstadt (Terezin), dont les nazis avaient fait un « ghetto montrable » de leurre de propagande, avant d’être envoyés ensuite vers l’extermination, une centaine survécurent.

À la défaite du nazisme, seulement 33 % de la population juive de toute l’Europe avait réchappé à l’extermination. Parmi eux, 100 à 120 000 enfants survivants dans toute l’Europe, soit entre 6 et 11 %. Ceux-là, principalement en France et Belgique, ainsi que ceux qui avaient pu être transférés en Suisse. Ailleurs, dans des régions entières de l’Europe, il ne restait plus d’enfants survivants.

Pour ceux qui avaient survécu, il ne leur restait plus qu’à essayer de vivre, comme le souligna l’écrivain Jean Améry (Par-delà le crime et le châtiment), « en se faisant à une existence privée de confiance dans le monde ».


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