Révolution française et révolution copernicienne dans la philosophie kantienne

Kant serait-il donc un « entrepreneur général de démolition », un véritable révolutionnaire ? Oui et non !


Publié le 11/02/2013 • Modifié le 25/04/2023

Temps de lecture : 3 min.

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Il serait tentant d’effectuer un glissement, qui substituerait au « révolutionnaire de la philosophie », le philosophe de la Révolution. C’est que Kant a bel et bien écrit sur la Révolution française et sur le procès du Roi : s’il condamna sans appel le tribunal qui prononça la sentence de mort comme une hérésie juridique, crime « inexpiable », puisque le Droit monarchique n’était pas aboli et les nouvelles institutions pas encore établies, en revanche, et à peu près seul de son espèce, jamais il ne désavoua la Révolution, tandis que ses contemporains, d’abord enthousiastes, tournèrent leur veste en arguant des crimes, violences et maux sans nombre de la guerre civile en France. En ce sens, on a pu appeler Kant « le Robespierre de la philosophie » puisqu’il ne désavouait pas le Robespierre de la politique. C’est que Kant voyait dans les épisodes français c'est la lutte de tout un peuple pour son Droit. Toutefois le « Robespierre de la philosophie » désigne plutôt en Kant celui qui effectua une révolution philosophique, que lui-même baptisa « révolution copernicienne ».

En quoi consiste la « révolution copernicienne » de Kant ?

 

Rappelons que Copernic, suivi en cela par Galilée puis par Newton, inaugure ce que Koyré appela la destruction du cosmos antique : en mettant non plus la Terre, mais le soleil immobile « au centre » pour faire tourner la Terre d’un double déplacement, et avec elle les autres corps célestes, Copernic d’abord, Galilée ensuite, faisaient de la Terre un corps céleste parmi les autres et rendaient possible l’unicité des lois de la physique alors que toute la cosmologie héritée d’Aristote attribuait aux corps célestes une matière très ténue, relevant d’une approche différente de celle des choses qui sont sur terre. Bref, Copernic, puis Galilée furent tenus pour hérétiques par l’Inquisition, comme s’il fallait que la Terre soit « au centre » pour que l’humanité continue d’être le couronnement de la création…

Kant aurait-il donc commis une hérésie analogue ? Le « démolisseur de la métaphysique » refuse que les chemins de la transcendance soient ceux de la connaissance, de sorte que nul, selon lui, ne peut prétendre avoir accès à une connaissance de Dieu et de l’immortalité de l’âme.

On a déjà compris que Kant présente l’affaire avec modestie, en se plaçant sur le terrain du rapport de notre connaissance à ses objets possibles. De même que Copernic se serait demandé si, en astronomie, nous ne serions pas plus heureux en supposant que c’est la Terre et non le soleil qui se meut, de même Kant propose-t-il qu’en matière de connaissance on suppose que ce sont les objets qui se règlent sur notre faculté de connaître et non l’inverse ! Si les « objets » se règlent sur notre esprit, cela veut dire que les connaissables sont nécessairement « les choses-pour-nous », c’est-à-dire toujours et seulement des phénomènes.

En quoi cette révolution philosophique est-elle novatrice ?

On peut dire, en simplifiant, que Kant rompt définitivement avec le dualisme de la raison et de la sensibilité, qui a sans doute largement dominé l’histoire de la pensée. Matérialisme, empirisme et sensualisme accordant le primat à la sensibilité, tandis qu’idéalisme et rationalisme accordent, quant à eux, priorité à la raison et à l’intelligence. Nous avons vu Kant récuser tout autant l’idéalisme que l’empirisme dogmatiques. Il dira que la philosophie critique est un « idéalisme transcendantal » (et non pas subjectif, comme selon lui, celui de Descartes) ; un tel idéalisme est en même temps un « réalisme empirique », et non un empirisme sensualiste qui fait s’évaporer la réalité en apparence pour nos perceptions. La réalité objective, loin d’être donnée à notre perception a, au contraire, besoin d’être établie par les méthodes de la connaissance ; c’est à ce titre que Kant accorde par exemple une valeur exemplaire au plan incliné de Galilée parce qu’il signe la nécessité que l’esprit se présente à l’entreprise de connaître en tenant, si on peut dire, d’une main « les principes de la rationalité » et de l’autre « ceux de l’expérience ».

► Contre l’idéalisme, Kant en appelle à la nécessité pour toute connaissance de se tenir dans les limites de l’expérience possible, et non de croire que du concept à l’existence la conséquence est bonne. Mais, contre l’empirisme, Kant forge un concept neuf de l’expérience…

Si les vues révolutionnaires de Kant quant à la nature de la raison ont déjà été évoquées, il reste à dire un mot de ce qui touche à la sensibilité. À beaucoup d’égards, il faut voir en Kant un philosophe qui réhabilite la sensibilité en ce sens que Kant cesse de voir dans l’existence sensible la source de nos égarements et de nos erreurs. Coup de tonnerre dans le ciel de la métaphysique, on l’a vu : c’est la raison qui nous illusionne quand elle n’est pas « nettoyée » par la critique ! Pour autant, la réhabilitation kantienne de la sensibilité n’a rien à voir avec celle de Rousseau. Elle tient à ce que Kant découvre, à des titres divers, un a priori sensible.


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