Kant et la découverte d’un a priori sensible


Publié le 11/02/2013 • Modifié le 25/04/2023

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Qu'est-ce qu'un a priori formel ?

Le phénomène, rappelons-le, est « objet indéterminé d’une intuition sensible » : coloré et divers, Kant ne cesse de le qualifier ainsi. Une diversité changeante colorée, voilà ce qu’appréhende immédiatement l’intuition. Or, avant même que je sente l’odeur de rose, ou que je voie la couleur de ce morceau de cire, je sais que odeurs, couleurs, formes, sonorités vont nécessairement s’offrir à moi ici ou là, maintenant ou plus tard. Kant va ainsi accorder à l’espace et au temps d’être « formes a priori de la sensibilité » – ni concept (contre Descartes, nous l’avons rappelé), ni résultat d’associations de sensations (contre Hume). La « matière », c’est-à-dire « le contenu » de la saisie sensible, sera justement la diversité colorée des sensations, résultant de la rencontre entre un sujet sentant, et des qualités senties.

Kant fait de l’espace la forme du sens externe : tout ce qui se présente à l’extérieur de nous est spatialement situé de sorte que chaque chose présente est extérieure à toutes les autres (« partes extra partes »). En revanche, le temps est forme du sens interne, en ce sens que toutes nos représentations se succèdent en notre esprit, l’une après l’autre. On voit aussitôt que si, par exemple, la couleur jaune de la cire se présente à l’extérieur de nous, l’impression de jaune est une représentation qui, en tant que telle, relève du sens interne. À ce titre, le temps détient une priorité par rapport à l’espace en ce sens que toutes nos représentations se présentent sous la forme de la succession à notre conscience.

Espace et temps acquièrent ainsi le statut d’être des « idéalités transcendantales » (d’où la qualification d’ « idéalisme transcendantal ») : est idéalité ce qui tient nature et existence de sa relation à l’esprit. Dans la mesure où l’espace mathématique est « pur » de toute « matière » sensible, seul ce statut d’a priori formel peut justifier que la mathématique soit dotée d’une signification physique. Cet a priori formel qu’est l’espace est donc transcendantal puisqu’il est condition des connaissances a priori de la physique. (Laissons le détail d’un raisonnement comparable en ce qui concerne le temps).

Universalité et sensibilité

On peut seulement indiquer que Kant n’a jamais cessé d’inventer, à nouveaux frais, de l’universalité dans la sensibilité, en quel que sens qu’on prenne cette notion : nous avons déjà esquissé comment en matière morale, Kant retrouve un sentiment moral, à savoir le respect pour la loi morale ; la source de ce sentiment toutefois est a priori puisque Kant l’analyse comme un étrange effet de la raison sur la sensibilité, comme s’il fallait, pour humaniser l’homme, que quelque chose de la raison soit présent jusque dans le sentiment.

On le voit encore plus clairement lorsque Kant abordera dans La Critique de la faculté de Juger le jugement de goût : celui qui fait juger beau un paysage par exemple, ou celui qui trouve sublime l’océan déchaîné. Beau ou sublime n’ontrien à voir avec l’agrément : celui-ci est relatif à l’état de celui qui apprécie « la douceur du vin », ceux-là en revanche enveloppent ce que le philosophe nomme « une pétition d’universalité ». Ce n’est pas au juste que si j’admire la splendeur d’un coucher de soleil, je juge qu’il serait du devoir de chacun d’admirer aussi. C’est plutôt que je suis comme choqué si quelqu’un regarde avec indifférence, sans contempler, ou entend les roulades du rossignol comme s’il s’agissait de la sonnerie du téléphone ! Il me semble que tout être humain, un peu civilisé, ne saurait, tel un petit chien, demeurer insensible. Dans cette pétition d’universalité, Kant décèle un « sens commun » dont la source résiderait dans « le libre jeu » de toutes nos facultés ; ce libre jeu aurait de soi, un effet « vivifiant » et exalterait notre âme.

On peut désormais en survol dire que, selon la critique kantienne, notre esprit a besoin de discipline en matière théorique pour soumettre les élans inspirés de la raison aux exigences de l’entendement d’avoir à limiter notre connaissance à l’expérience possible.
En matière pratique aussi nous avons à discipliner cette fois les élans du cœur pour soumettre notre vouloir au commandement inconditionné de la raison.
C’est seulement en matière esthétique que tous nos pouvoirs entrent en jeu librement, sans que l’un soumette l’autre ! – et ce libre jeu vivifiant est par lui-même source de sociabilité.
Faut-il remarquer qu’il ne saurait y avoir un jeu « réglé » de nos pouvoirs s’il n’y avait d’abord et principiellement un « libre jeu » ? Cette libre vivification ne serait-elle pas un des visages originaires de l’esprit et de la liberté qui le définit ?

Conclusion

Il est temps de conclure en soulignant de nouveau que la philosophie de Kant est une philosophie de la liberté : c’est pourquoi demeurer en sa compagnie risque de guérir de tous les dogmatismes. Ainsi, si penser par soi-même consiste bien sûr, à ne pas se soumettre à une autorité extérieure, reste encore à éviter le pire : l’adhésion à ses propres imaginations narcissiques ! C’est pourquoi il importe tellement d’apprendre à « penser pour ainsi dire en commun avec d’autres auxquels nous communiquons nos pensées et qui nous communiquent les leurs » car ainsi, en pratiquant la « pensée élargie » nous mettons à l’épreuve nos propres pensées. Kant, en somme, retrouve Platon et la véritable urbanité du dialogue philosophant. Toutefois, il cesse d’être « platonicien » quand il écrit, à la fin de la Critique de la raison Pratique que « deux choses remplissent le cœur (Gemüth) d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et toujours croissantes à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. » – ce qui est une fort concise façon de tenir ensemble usage théorique dela raison adonnée à la connaissance des lois de la nature ; usage pratique grâce auquel nous prenons conscience de notre liberté, sans omettre enfin le sublime, qui seul fait l’objet d’une admiration mêlée de vénération dont on peut supposer qu’elles seraient à la fois esthétiques, quand il s’agit de la splendeur du « ciel étoilé », mais aussi morales, quand il s’agit de la grandeur en nous de la morale.

 


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