Le sort des enfants dans la Shoah

Aux côtés des camps de concentration et des camps d’extermination, les ghettos, au nombre de plus de 400, ont constitué le troisième grand dispositif de l’Archipel des territoires organisés de la destruction en masse nazie.


Publié le 27/01/2015 • Modifié le 12/09/2022

Temps de lecture : 3 min.

Écrit par Gérard Rabinovitch, Directeur Institut Européen Emmanuel Levinas

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Aux côtés des camps de concentration (Dachau, Buchenwald, Ravensbrück, Sachsenhausen…) et des camps d’extermination (Auschwitz-Birkenau, Treblinka, Belzec, Sobibor…), les ghettos, au nombre de plus de 400, ont constitué le troisième grand dispositif de l’Archipel des territoires organisés de la destruction en masse nazie.

Ghettos

Dans ces ghettos, situés généralement dans un quartier de surface très restreinte d’une grande ville (Varsovie, Lodz, Vilno, Kovno…) mais parfois dans un seul vaste bâtiment ; ceints de murs hauts d’au moins 3 mètres et de barbelés, furent regroupés, par dizaines ou centaines de milliers, les Juifs de l’Est de l’Europe, habitants des grandes villes, et y étaient transférés ceux, résidents des petites villes et des campagnes.

Lieux de regroupement, d’enfermement, d’entassement, d’étranglement, ils avaient pour fonction de couper les populations juives de tous liens matériels, communicationnels, relationnels et humains, avec leur environnement. Laissés à l’autorité illusoire de « Conseils juifs », ils constituèrent par la misère extrême, l’insalubrité, les épidémies, et la famine organisée, délibérément des mouroirs.

Dans la logique exterminatrice nazie, ils furent une étape provisoire avant la déportation vers l’anéantissement.

Dans les ghettos, les enfants, nombreux (sur le demi-million de Juifs emmurés dans le ghetto de Varsovie, on comptait plus de 100 000 enfants de moins de quinze ans), en haillons, enflés par la faim, ravagés par la maladie, commencèrent les premiers à mourir par dizaine de milliers, avant d’être déportés vers les chambres à gaz, en famille ou lors de Kinderaktionen. Les « Conseils juifs » dans leur ensemble tentèrent d’organiser ou de soutenir une assistance quoique très précaire aux enfants : collectes, formes de scolarisation, crèches parfois, orphelinats (ainsi celui du docteur et pédagogue Janusz Korczak.

Il devint toutefois vite évident que la lutte pour sauver les enfants était une mission impossible, à laquelle se consacrèrent nombre d’adultes jusqu’au sacrifice.

Massacres à l’Est

L’extermination des populations juives n’a pas attendu la réputée « conférence de Wansee » (21 janvier 1942) pour être entreprise. À cette date, les massacres de masse des populations juives sont déjà commencés depuis plusieurs mois, principalement menés par les Einsatzgruppen (« groupe d’intervention ») composés de SS, de membres de la police régulière allemande, et d’auxiliaires locaux passés sous les ordres nazis. Leurs actions meurtrières en masse ont commencé en Pologne dès l’occupation de celle-ci à l’été 1939, contre les cadres de la nation et de l’armée polonaises, puis contre les handicapés, les Juifs, les Tziganes.

Après l’invasion du territoire soviétique en juin 1941, à l’arrière des troupes de la Wehrmacht, dans le sillage de son avancée, les Einsatzgruppen, opérant en 4 groupes armés (« A », « B », « C, », « D »), commencent l’extermination des cadres soviétiques et des Juifs dont la population est importante depuis l’époque tsariste qui assignait les Juifs à résider uniquement au Sud de l’Empire. Suscitant des pogroms (Kaunas), pratiquant des assassinats en masse par fusillades, dès août 1941, ce sont tous les Juifs : hommes femmes, enfants, qui sont exterminés, traqués dans les villes, les bourgs, les villages, les hameaux, abattus dans des fosses (Babi Yar), dans les rues, sur les places. Les enfants, les nourrissons, y font l’objet de multiples formes d’exactions « sadiques ». C’est encore à cette période que débutent « sur place » les exterminations au moyen de camions transformés en « chambres à gaz » mobiles. Système expérimenté lors du programme d’euthanasie des handicapés (T4).

Ce sont plus d’un million de Juifs qui furent assassinés dans ces massacres.

Dans les camps

La froideur comptable des chiffres ne dira jamais tout. Derrière elle se trouve la réalité du sort spécifique des enfants livrés à la destruction sous le signifiant maître du nazisme : la Selektion. Toutes les atrocités commises à l’égard des enfants. Non seulement parce que pour eux il n’y avait sur les rampes qu’une sélection, la première. Pour les chambres à gaz, les fosses crématoires. Mais encore parce que sur eux furent essayées et pratiquées toutes les formes d’assassinats, les euthanasies, les pratiques médicales sadiques d’ « expérimentation », l’esclavage sexuel, etc.

Et derrière cette réalité, se produisait une cassure dans laquelle les liens « naturels » étaient déchirés, les places asymétriques entre adultes et enfants bouleversées, l’« insouciance » des enfants renversée, l’amour parental bafoué, condamné à des manifestations inconcevablement tragiques. Ainsi les savantes analyses sur le rôle des jeux des enfants, ses bénéfices psychologiques, cognitifs, de maîtrise de l’angoisse, d’adaptation, etc., trouvèrent dans l’Archipel de la mort programmée, leur tragique confirmation dans l’épouvante. Déjà dans les ghettos, les garçons jouaient au « passage de la porte » à la fouille par la police allemande des travailleurs forcés, au « blocus » imitant les rafles d’enfants, tandis que les filles jouaient à faire la queue, jouer des coudes et se battre pour une hypothétique boutique.

Dans les camps, dans les laps de temps variables qui précédaient leur inéluctable assassinat, les enfants jouaient à « l’appel », au Lageraeltester et au Blockaeltester hurlant « on se découvre », au malade s’évanouissant et que l’on bat pour ça, au « klepsi klepsi » : frapper très fort le visage d’un camarade aux yeux bandés.

Et jouer « au docteur » dans les camps signifiait jouer à détourner les rations alimentaires des malades et leur refuser toute assistance...

Chaque segment du sort des enfants dans la Shoah constitue un indice supplémentaire de ce Zivilisationbruch (« rupture dans la civilisation ») qu'a constitué la réalité du nazisme.


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