Une petite histoire de l'éducation

Derrière les clichés de Charlemagne et de Jules Ferry se cachent bien d’autres enjeux pour une école qui est avant tout un fait politique.

Publié le 21/05/2013 • Modifié le 02/11/2021

Temps de lecture : 8 min.

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Quand on pense éducation, deux grandes images nous viennent à l’esprit : celles de Charlemagne inventant l’école et de Jules Ferry donnant à tous la chance d’y accéder. Mais derrière les clichés se cachent bien d’autres enjeux pour une école qui est avant tout un fait politique.

789 : Charlemagne réinvente l’école

Si on ne doit évidemment pas l’invention de l’école à Charlemagne – on estime qu’il en existait dès 3 000 av. JC –, on lui doit sûrement sa réinvention. Au VIIIe siècle, celui qui veut ainsi former les futurs cadres de son empire va en effet présider à la renaissance d’une institution largement laissée en déshérence depuis la chute de l’Empire romain d’Occident en 476. Pendant les quarante-quatre ans de son règne, il va favoriser la création d’écoles régies par les abbés où l’on apprend à lire, à écrire et à compter ainsi qu’un enseignement religieux. À l’intérieur même de son palais, Charlemagne crée l’école palatiale d’Aix-la-Chapelle, où sont admis des enfants aussi bien de la noblesse que de simple extraction. Il la présente comme un modèle destiné à orienter et à inspirer les enseignements dispensés dans les autres écoles. En 789, il proclame : « Qu’on rassemble non seulement les fils de condition modeste, mais les fils bien nés. Qu’on établisse des écoles pour l’instruction des garçons. Que dans chaque monastère on enseigne les psaumes, les notes, le chant, le comput, la grammaire, et qu’on dispose de livres bien corrigés. »

Capitulaire (loi) de Théodulf, évêque d'Orléans, conseiller de Charlemagne

« Que les prêtres tiennent des écoles dans les bourgs et les campagnes; et si quelqu’un des fidèles veut leur confier ses petits enfants pour leur faire étudier les lettres, qu’ils ne refusent point de les recevoir et de les instruire, mais qu’au contraire ils les enseignent avec une parfaite charité, se souvenant qu’il a été écrit : Ceux qui auront été savants brilleront comme les feux du firmament, et ceux qui en auront instruit plusieurs dans la voie de la justice luiront comme des étoiles dans toute l’éternité. Et qu’en instruisant les enfants, ils n’exigent pour cela aucun prix et ne reçoivent rien, excepté ce que les parents offriront volontairement et par affection. »

Moyen Âge : l’éducation devient chrétienne

Pendant tout le Moyen Âge et dans toute la chrétienté, l’éducation est confiée aux prêtres et vient ainsi remplacer le modèle laïc de la paideia athénienne qui a marqué l’Antiquité. Jusqu’au XIe siècle, ce sont les abbayes – notamment celle de Cluny – qui concentrent l’excellence éducative. Les enfants les fréquentant sont généralement nés sur les terres environnantes, mais peuvent parfois venir de loin en raison de la renommée du monastère.

Les élèves destinés à intégrer le clergé étudient à l’intérieur du monastère alors que les autres suivent leurs enseignements à l’extérieur, dans une école distincte. Tous les enfants portent le même uniforme et partagent un dortoir. Il est ainsi admis que « le plus grand prince n’était pas élevé avec plus de soin dans les palais des rois que ne l’était le plus petit des enfants de Cluny ».

À partir du XIIe siècle, les écoles épiscopales des cathédrales vont peu à peu prendre le dessus sur des abbayes situées trop loin des villes – un cheminement qui est plus lent que dans d’autres grands pays européens. La première université française, celle de Paris, ne voit ainsi le jour qu’en 1215, longtemps après Oxford (créée en 1167) et surtout Bologne (dès 1088). Les étudiants, de jeunes adultes appelés « écoliers », considérés comme des clercs, portent tous la tonsure. Comme eux, ils doivent demander l’aumône pour financer des études qui sont alors très chères.

 

écoliers
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Époque moderne : éducation rime avec religion

Jusqu’à la Renaissance, l’école ne concerne qu’une très faible population, essentiellement issue de la noblesse et de la grande bourgeoisie. Avec l’apparition de l’imprimerie, au XVIe siècle, naissent dans les grandes villes des collèges qui vont quelque peu démocratiser l’enseignement, même si le coût des études freine toujours son développement. Les élèves, quasi uniquement des garçons, sont scolarisés par niveaux et passent des examens.

S’il y a développement de l’école, c’est d’abord parce que l’éducation constitue un fait religieux. Dans son Histoire de France, Jules Michelet écrit que l’école est « le premier mot de la Réforme, le plus grand ». L’alphabétisation est centrale dans la religion protestante car l’accès au texte apparaît nécessaire à la connaissance de Dieu : chaque protestant doit pouvoir « lire le Livre ». Plus tard, avec la « Contre-Réforme » engagée par l’Église catholique, les Jésuites occuperont un rôle particulier dans l’éducation en formant l’élite de la nation. S’ils sont expulsés de France en 1762, c’est toujours à l’Église que l’État délègue la formation des enfants sous l’Ancien Régime

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Les Lumières, entre instruction élitiste et publique

L’autorité absolue du maître, voire sa brutalité, est la règle jusqu’au XVIIIe siècle, quand Rousseau prône un plus grand respect de l’enfant. Pour autant, si le Siècle des lumières est celui de l’instruction, c’est tout sauf celui de sa démocratisation. Voltaire recommande ainsi des Lumières limitées au souverain et à l’élite, redoutant que le fils du laboureur, une fois instruit, se détourne des champs et écrivant même qu’il lui paraît « essentiel qu’il y ait des gueux ignorants ». Diderot prône toutefois l’éducation du peuple, ainsi que Condorcet, qui développe en 1792 un projet d’instruction publique fondé sur les principes d’égalité, de laïcité et de liberté. Il écrit alors dans son rapport : « Tant qu’il y aura des hommes qui n’obéiront pas à la raison seule, qui recevront leurs opinions d’une opinion étrangère, en vain toutes les chaînes auraient été brisées, en vain ces opinions de commande seraient d’utiles vérités ; le genre humain n’en resterait pas moins partagé en deux classes : celle des hommes qui raisonnent et celle des hommes qui croient, celle des maîtres et celle des esclaves. »

La Révolution, quant à elle, est l’héritière de la vision des Lumières sur l’instruction, porteuse de la réflexion et réservée aux élites, en opposition à une éducation chargée de former les mœurs sans esprit critique.

La Révolution et l’Empire créent les lycées et le baccalauréat

C’est au député Louis Joseph Charlier qu’on doit pour la première fois, en 1793, l’idée d’un enseignement primaire obligatoire, laïc et gratuit. Il faudra encore deux ans pour l’organiser – mais, entre-temps, il aura perdu son caractère obligatoire. L’éducation apparaît alors comme le plus sûr moyen d’enterrer définitivement la royauté et prend vite une allure propagandiste. Les collèges sont supprimés et sont parallèlement créées des « écoles centrales » dans l’enseignement secondaire alors que les universités sont remplacées par des écoles professionnelles de droit et de médecine en 1794. L’École polytechnique, alors nommée École centrale des travaux publics, est inaugurée la même année. Les premiers lycées sont ouverts sous le Consulat, en 1802, alors que renaissent les collèges dans le secondaire. Le principe du monopole de l’État sur l’éducation est également entériné. En 1808, le baccalauréat est créé : les premiers bacheliers sont seulement trente et un et ne passent que des épreuves orales. Là encore, comme sous Charlemagne, il s’agit d’abord pour l’Empereur de former les cadres de son administration, sûrement pas d’élever les masses.

Le XIXe siècle voit s’affronter laïcs et religieux

Si elle permet le retour d’un enseignement catholique, la Restauration ne remettra pas fondamentalement en cause les principes de l’éducation issus de la Révolution. En 1816, un texte fondateur entérine le principe même de l’éducation pour tous. Les communes doivent alors, sous l’autorité du curé cantonal, « pourvoir à ce que les enfants qui [les] habitent reçoivent l’instruction primaire, et à ce que les enfants indigents la reçoivent gratuitement ». Parallèlement, « l’instruction primaire est fondée sur la religion, le respect pour les lois et l’amour dû au souverain ». Le XIXe siècle verra ainsi constamment s’affronter tenants de la laïcité et de l’enseignement catholique. En 1850, la loi Falloux promeut un « enseignement libre » : tout citoyen peut ouvrir une école secondaire s’il possède les titres requis. L’Église catholique fait ainsi son grand retour sur la scène éducative. L’université publique perd donc son monopole, comme c’était déjà le cas depuis 1836 pour l’enseignement primaire (loi Guizot). Dès lors, les deux systèmes se séparent et, en 1881, l’éducation religieuse est supprimée dans l’enseignement public avant qu’en 1886 les religieux eux-mêmes se voient interdits d’y travailler.

Une lente démocratisation

En 1828 est créé le premier ministère dédié à l’« instruction publique ». Dès lors, le lent mouvement de démocratisation de l’instruction s’accélère. À partir de 1833, toutes les communes de plus de 500 habitants doivent posséder une école de garçons. En 1850, elles y sont « incitées » pour les filles. Si la première femme obtient le bac en 1861, ce n’est qu’en 1867 que des lycées leur sont enfin ouverts. C’est aussi, bien sûr, l’ère des « hussards noirs de la République », selon la formule de Charles Péguy, ces instituteurs formés dans les écoles normales qui apportent le savoir dans toutes les communes.

Les tournants de la première moitié du XXe siècle

La grande marche vers l’éducation pour tous reprend après la Première Guerre mondiale. Jusqu’en 1918 subsistent en effet deux écoles distinctes qu’on appelle souvent celle des « notables » et celle du « peuple ». Dans la première, les élèves suivent des cours de l’enfance au bac alors que la seconde va essentiellement jusqu’au certificat d’études. Les passerelles sont d’autant plus difficiles à trouver que l’entrée en sixième se fait à 10 ans quand le certificat d’études s’obtient à 12 ans. À la suite du premier conflit mondial, l’idée d’école unique fait peu à peu son chemin, mais elle ne connaîtra son aboutissement qu’après la Seconde Guerre mondiale. Trois dates symboliques sont importantes dans l’entre-deux-guerres : 1924 (les programmes des garçons et des filles deviennent identiques), 1930 (les classes secondaires deviennent gratuites) et 1932 (l’instruction publique change de nom pour devenir l’« éducation nationale » que nous connaissons encore aujourd’hui).

Après la Seconde Guerre mondiale

Après l’échec du plan Langevin-Wallon, qui, à la Libération, entendait donner un nouvel influx au système en affirmant un « droit à l’éducation » après 15 ans, il faudra attendre 1967 pour voir enfin une vraie prise de conscience des insuffisances du système. À l’époque, ce n’est en effet que 15 % d’une classe d’âge qui parvient au bac. Pour remédier à cet état de fait, une vaste réforme allant de la maternelle à l’enseignement supérieur entre en vigueur en 1968. En 1970, l’ONISEP est créé pour aider les jeunes dans leur orientation. Emblématique, cause de tous les problèmes pour les uns, avancée déterminante vers l’égalité sociale pour les autres, le « collège unique » voit le jour en 1975. Dès lors, tous les élèves suivent les mêmes programmes.

Objectif 80 %

Dans les années 1980, après l’arrivée au pouvoir de la gauche, le slogan « 80 % d’une classe d’âge au niveau du bac » est porté par le ministre de l’Éducation Jean-Pierre Chevènement. De 1982 à 1995, les effectifs des lycées vont ainsi doubler, atteignant aujourd’hui 5,4 millions. Le bac professionnel est créé en 1985 et c’est grâce à lui qu’enfin, en 2012, ce chiffre est dépassé pour la première fois, avec même 85 % d’élèves au niveau du bac. Le nombre de bacheliers passe ainsi de 300 000 en 1988 à plus de 600 000 aujourd’hui. Mais attention, ce chiffre est le fruit d’une conjoncture favorable : le bac pro ayant été réformé, se sont cumulés cette année-là les candidats du bac professionnel en trois ans (le nouveau) et en quatre ans (l’ancien). En 2013, on devrait donc repasser (ou se rapprocher) au cap des 80 %.

Les premiers pas de l'école

Dans la Grèce antique, l’ensemble du processus d’éducation des individus est appelé paideia. Tous les enfants athéniens rejoignent l’école dès l’âge de 7 ans et y apprennent, comme les écoliers d’aujourd’hui, à lire, à écrire et à compter. Ils sont aussi sensibilisés à l’histoire naturelle, à la philosophie et à l’activité sportive, puis ils commencent, à l’âge de 12 ans, l’apprentissage du latin et du grec. Seuls les jeunes issus des familles les plus riches poursuivent leur scolarité après leur seizième année et suivent des leçons de rhétorique les initiant à l’art oratoire. Dans la cité de Sparte, l’apprentissage du sport et des arts s’impose aux garçons comme aux filles, une bonne mère de famille se devant d’être robuste et instruite. En Grèce comme dans la Rome antique, l’usage de la violence et de règles fortement coercitives caractérise l’enseignement. Les enfants de la Chine ancienne vont aussi à l’école, Confucius ayant lui-même affirmé la nécessité de permettre l’éducation du plus grand nombre afin de former au mieux les serviteurs de l’État.

En partenariat avec L'éléphantl'éléphant

L'Éléphant est une nouvelle revue de culture générale qui paraît tous les trimestres. Elle traite à la fois de sujets de culture générale « classique » (sans lien avec une actualité) et de thèmes qui font écho à un événement contemporain.


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